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En plus de la correction professionnelle de tous vos textes, je propose quelques astuces avec ce blog pour répondre aux questions que vous vous posez sur la langue française.

 

 

 

ChatGPT, une menace pour les correcteurs professionnels ?

31/08/2023

ChatGPT, une menace pour les correcteurs professionnels ?

L’intelligence artificielle (IA) menace-t-elle les métiers de l’écriture ? En tant que correcteur professionnel indépendant, je m’interroge sur cette question à travers une expérience que j’ai menée avec ChatGPT. J’ai soumis un texte relativement simple, mais comportant quelques pièges, à la correction de l’IA. Comme vous pourrez le constater, elle est capable de résoudre certains problèmes (lorsqu’elle est assistée), mais met surtout en évidence les enjeux essentiels de la liberté créative et de l’uniformisation des textes.

J’ai lu ici et là que le métier de correcteur professionnel était menacé par l’intelligence artificielle, tout comme ceux de l’écriture en général ou des artistes. C’est vrai, pourquoi payer quand on peut demander à un robot conversationnel de reprendre nos fautes d’orthographe gratuitement ou à une IA de générer la couverture de notre prochain roman ? Je me suis donc inscrit à ChatGPT pour en avoir le cœur net, et voici mon expérience.


Sommaire

Introduction
Le texte de travail, avec tout un tas de fautes
Analyse de la proposition de correction de ChatGPT
Résumé de l’analyse
Le texte corrigé à la main
Conclusion

 

 

Introduction

Tout d’abord, il faut savoir que je ne prétends pas mener une recherche exhaustive avec des méthodes scientifiques, je laisse cela aux spécialistes. Je retranscris simplement mon opinion telle que je l’ai forgée grâce à mon expérience personnelle, ponctuelle et limitée.

 

ChatGPT est un « agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle […] spécialisé dans le dialogue ». (Source : Wikipédia.) C’est un outil en ligne avec lequel des humains peuvent dialoguer par texte, et qui est capable d’entretenir une conversation, de faire des recherches pour vous, de conseiller quelqu’un, voire d’écrire des articles. (Entre autres.)


Cela étant dit, sachez que j’ai utilisé la version GPT-3.5 pour essayer de corriger un extrait de texte avec la demande : « Peux-tu corriger l’extrait suivant selon les normes orthographiques françaises traditionnelles et les normes typographiques de l’Imprimerie Nationale ? »

 

Mise à jour du 12 juin 2024 : j’ai retenté l’expérience avec la version GTP-4o, et mes conclusions n’ont pas changé. L’outil fait les mêmes erreurs et se permet en plus de modifier davantage le texte, ce qui montre que la tendance n’est pas vers une démarche littéraire et de respect des écrits.

 

 

 

Le texte de travail, avec tout un tas de fautes

 Le texte à corriger comportait 778 caractères avec les espaces, le voici en intégralité.

(Attention, le texte ci-dessous de couleur orange est bourré de fautes ! Cascade à ne pas reproduire chez vous. D’ailleurs, ce qui est écrit est faux, je n’ai aucun talent en peinture, je n’ose imaginer le massacre si je m’attaquais à des figurines.)

 

J’adore peindre des figurines du Seigneur des Anneaux! Quand on regarde ma collection, on s’exclame souvent sur “les heures et les heures qu’ont nécessité ce travail d’orfevre.” Je me suis inspirer des illustrations d’Alan lee pour les couleurs et le travail sur les textures. Par exemple pour les arbres ors et jaunes de Fendeval, trouvés chez cet artiste qui a commencé sa carrière dès 1897. J’aime particulièrement peindre troupes d’aventuriers, comme dans Le Hobbit. C’est une expérience a essayer ! Mais imaginez le boulot sur les détails quand on s’occupe d’une dizaine de petits êtres à la tête desquelles se trouve gandalf, bien plus grand. La fièvre du Seigneur des Anneaux n’est pas prête de retomber, comme à l’époque où on achetait nos badges « Gandalf président ! ». 

 

 

Analyse de la proposition de correction de ChatGPT

Voici l’analyse que je fais de la proposition de l’IA (proposition signalée avec le texte en rouge ci-dessous), phrase par phrase. Sans rien divulgâcher, il reste un paquet d’erreurs. Je précise que l’outil m’a répondu d’un bloc, mais que j’ai scindé ici son texte pour insérer mes commentaires afin de fluidifier la lecture.

 

  

J’adore peindre des figurines du Seigneur des Anneaux !

 

Dans cette première phrase, l’outil a bien repéré qu’il manquait une espace entre le titre et le point d’exclamation, mais il a mis une espace sécable, et non une fine. Je vous invite à consulter cet article pour en apprendre plus sur les espaces, mais sachez qu’avec une espace sécable ici, on risque de se retrouver avec le point d’exclamation en tête de ligne lors de la mise en page finale. De plus, il n’a pas passé le titre en italique. Niveau typographie, la première phrase prouve que le compte n’est pas bon ! Je lui ai donc demandé de revoir la typographie, et il a été capable de passer les titres en italique pour l’extrait entier. J’ai dû ensuite demander explicitement qu’il ajoute les espaces insécables et fines aux bons endroits, ce qu’il est parvenu à faire. Mais quel auteur ou autrice irait itérer ainsi pour obtenir ce résultat ?

 

Continuons l’analyse.

 


Quand on regarde ma collection, on s’exclame souvent sur « les heures et les heures qu’ont nécessité ce travail d’orfèvre ».

 

Dans cette deuxième phrase, ChatGPT a correctement remplacé les guillemets anglais par des guillemets français et ajouté l’accent à orfèvre. De plus, il a repositionné le point à l’extérieur des guillemets, c’est satisfaisant ! Mais il a laissé des erreurs grossières, le verbe n’est pas conjugué à la bonne personne et le participe passé n’est pas bien accordé (il fallait écrire « … les heures qu’a nécessitées ce travail… »).  

 


Je me suis inspiré des illustrations d’Alan Lee pour les couleurs et le travail sur les textures.

 

L’outil a bien corrigé la troisième phrase, assez simple, et ajouté la majuscule au nom propre.

 


Par exemple, pour les arbres d’or et de jaune de Fendeval, trouvés chez cet artiste qui a commencé sa carrière dès 1897.

 

La quatrième phrase est très intéressante, car l’IA prend la liberté de modifier le texte pour éviter le problème d’accord des couleurs. Elle aurait dû écrire « … pour les arbres or et jaune… » (Or reste toujours invariable en tant qu’adjectif de couleur, et, dans ce contexte, jaune aussi, parce que chaque arbre contient de l’or et du jaune dans l’illustration en question.) Fendeval a été passé en italique quand j’ai demandé de revoir la typographie, mais c’est le nom d’un lieu dans les livres, il fallait le laisser en romain. De plus, l’outil n’a pas tiqué sur l’année 1897. Alan Lee est né en 1947, il a commencé sa carrière d’illustrateur dans les années 1970. ChatGPT n’a pas su vérifier la cohérence des informations données.

 


J’aime particulièrement peindre des troupes d’aventuriers, comme dans Le Hobbit. C’est une expérience à essayer !

 

Ces phrases, la cinquième et la sixième, sont bien corrigées (sauf le titre, passé en italique uniquement après ma deuxième demande). L’outil a ajouté le mot manquant et remplacé a par à.

 


Mais imaginez le travail sur les détails quand on s’occupe d’une dizaine de petits êtres à la tête desquels se trouve Gandalf, bien plus grand.

 

Cette septième phrase est également intéressante. L’IA a bien corrigé desquelles pour desquels et elle a ajouté la majuscule au nom propre. Mais elle a remplacé boulot par travail. En clair, elle a pris la liberté de modifier mon niveau de langue alors que je ne lui avais rien demandé. Une erreur impardonnable pour un ou une spécialiste de la correction, car qui la commettrait déposséderait la personne qui écrit de son œuvre. 

 


La fièvre du Seigneur des Anneaux n’est pas prête à retomber, comme à l’époque où on achetait nos badges « Gandalf président ! ».

 

Dans cette dernière phrase, même problème pour le titre qui n’a pas été passé en italique du premier coup. J’aurais également préféré « près de retomber » plutôt que « prête à retomber ». L’outil a, de plus, laissé le point final à l’extérieur du guillemet fermant alors qu’il y a un point d’exclamation à l’intérieur. C’est une séquence qui n’est pas tolérée par les normes de l’Imprimerie Nationale (ce point est sujet à débat, mais étant donné que j’avais donné pour instruction de suivre les recommandations de l’Imprimerie Nationale, force est de constater que le test n’est pas réussi). ChatGPT a pu corriger cela quand j’ai pointé le souci du doigt dans une demande supplémentaire. 

Mais qui irait prendre par la main l’outil afin de l’accompagner pour rectifier chaque omission ?

 


Résumé de l’analyse

J’ai pu tirer un texte presque satisfaisant de ChatGPT, mais seulement après avoir formulé cinq demandes supplémentaires pour corriger des points spécifiques. De plus, malgré mes indications, l’outil n’a pas du tout été en mesure de revoir la deuxième phrase, ni de comprendre l’incohérence sur la date, ni d’enlever l’italique à Fendeval. 

 

ChatGPT sait maintenant gérer les règles typographiques françaises, mais uniquement si on lui en fait la demande et qu’on lui tient la main pour ses erreurs. Mais l’outil est incapable de corriger une phrase complexe (notamment les accords de participes passés dans un contexte où l’auxiliaire avoir est utilisé, ce que j’ai pu vérifier avec d’autres essais), et il ne comprend pas de quoi l’on parle : il ne voit pas les incohérences. 


Enfin, il prend des libertés avec le texte pour éviter les difficultés et pour remplacer certains mots. Ce point est peut-être le plus grave. Aucun correcteur professionnel digne de ce nom ne se permettrait de déposséder l’auteur ou l’autrice de son œuvre : si l’on pense que quelque chose cloche, on écrit un commentaire, on en discute. On échange. Voilà peut-être une tâche dont l’IA n’est pas capable.

 

J’ai également tenté de faire corriger le texte à Bard, l’IA de Google. Le résultat a été catastrophique : l’outil prend encore plus de libertés, n’applique pas les normes typographiques françaises et laisse la plupart des erreurs grossières.

 


Le texte corrigé à la main

Voici la correction manuelle que je propose pour l’extrait. (Veuillez noter que les espaces insécables ne sont pas gérées par le traitement de texte de ce blog, ce qui pourrait générer quelques décalages avec les points d’exclamation et les guillemets en fonction de votre affichage. N’hésitez pas à consulter mon article sur le sujet pour en savoir plus !)

 

J’adore peindre des figurines du Seigneur des Anneaux ! Quand on regarde ma collection, on s’exclame souvent sur « les heures et les heures qu’a nécessitées ce travail d’orfèvre ». Je me suis inspiré des illustrations d’Alan Lee pour les couleurs et le travail sur les textures. Par exemple pour les arbres or et jaune de Fendeval, trouvés chez cet artiste qui a commencé sa carrière dans les années 1970. J’aime particulièrement peindre des troupes d’aventuriers, comme dans Le Hobbit. C’est une expérience à essayer ! Mais imaginez le boulot sur les détails quand on s’occupe d’une dizaine de petits êtres à la tête desquels se trouve Gandalf, bien plus grand. La fièvre du Seigneur des Anneaux n’est pas près de retomber, comme à l’époque où on achetait nos badges « Gandalf président ! »

 

 

Conclusion

ChatGPT est donc un outil qui peut avoir son utilité, mais la question est de savoir pour qui. 

 

Les correcteurs et correctrices corrigent un texte bien plus vite et efficacement que ça, sans avoir à prendre par la main un enfant-IA qui s’excuse et revoit péniblement ses erreurs une à une (en en oubliant un certain nombre, et pas des moindres).

 

Les auteurs et autrices n’ont pas le temps ni forcément les compétences pour vérifier la qualité de la correction, notamment pour la typographie qui est une discipline à part entière. Ils ne pourront pas avoir l’assurance qu’il n’y a pas de fautes, pas d’incohérences, à cause des omissions et libertés prises par l’outil. Enfin, ils n’ont certainement pas envie que leur texte soit modifié de façon arbitraire. Le remplacement du mot boulot par travail est un exemple ridicule de lissage d’une œuvre, qui conduirait immanquablement à une uniformisation des textes en les tirant vers le bas, vers un monde sans saveur, s’il était appliqué à l’ensemble de la production littéraire. 

 

Je suis sûr que vous savez d’ores et déjà reconnaître un article généré par IA, de ceux qui inondent les sites pour susciter du clic. Qui veut des créations fadasses comme celles-là ?

 

Je suis certain que l’IA va continuer ses progrès à la vitesse de l’éclair et qu’elle sera un jour ou l’autre capable de corriger un texte du premier coup. Mais n’oublions pas les biais avec lesquels elle est conçue : ils sont reproduits et amplifiés, ce qui étrangle la créativité. (Et renforce les stéréotypes, ce qui est un autre sujet à part entière.) 

Je doute qu’elle devienne un outil fiable pour la correction professionnelle d’œuvres littéraires. Ce n’est d’ailleurs pas l’usage qui lui est destiné, il y a un tas de domaines pour lesquels l’intelligence artificielle saura se rendre utile. Chez les littéraires, tout au plus servira-t-elle de plume aux « créateurs de contenu » qui cherchent à optimiser leur référencement (jusqu’à ce que ce modèle économique déjà obsolète finisse par s’effondrer).

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